Dans cet article, je t’invite à venir revivre mon Triple Deca Ultra-Triathlon à Desenzano del Garda en Italie pour la quatrième et dernière épreuve de la coupe du monde.
Au programme : 114 km de nage / 5400 km de vélo et 1266 km de course à pied.
4ème et dernière épreuve de la coupe du monde d’ultra-triathlon 2024
Ma femme m’a aidé à gérer cette longue absence. Mes parents et les siens ont prévu de venir l’aider, puisque j’allais m’absenter plus de 40 jours. Tout était organisé. J’ai chargé le camion tranquillement en m’assurant de ne rien oublier.
Cette compétition avait eu lieu en 2013 au format un Ironman par jour, pendant 30 jours. C’était la première version en format continu, ce qui représentait :
114 kilomètres de nage dans un bassin de 50 mètres
5400 kilomètres à vélo
1266 kilomètres de course à pied !
Je suis parti en Italie la gorge nouée de quitter ma famille pour plus d’un mois. Concernant mon état physique, en revanche, j’étais serein. Je me suis vite rassénéré en songeant que j’allais revoir plein d’amis de cette grande famille de l’ultra. Nous étions 14 inscrits, dont 4 femmes. 90% de ces athlètes avaient participé au fois 20 Ironman l’année précédente, moyennant quoi je les connaissais. Un seul m’avait battu, un Polonais. Il voulait absolument remporter cette compétition italienne, la seule de l’année à laquelle il concourait. Il m’était supérieur, ce qui ne m’inquiétait pas spécialement car il peut se passer beaucoup de choses sur de telles distances. Par contre, j’étais seul tandis qu’il bénéficiait d’une équipe de trois personnes pour gérer sa logistique. Je comptais beaucoup sur l’organisation impeccable de Vincenzo pour que les bénévoles m’aident à performer, et si possible à gagner cette épreuve.
Je suis arrivé sur le site de l’évènement sur les coups de 18h30, le 28 août 2024. J’ai monté ma tente, installé mon matériel et récupéré du voyage. J’avais deux jours pour faire mes courses et tout fignoler. J’ai découvert le lieu, pris mes marques. Tout semblait bien se passer. Sauf que le lendemain, j’ai reçu une douche froide : j’ai appris que la compétition se déroulerait sur trois sites distincts imposant d’y déplacer la logistique et ça, je ne l’avais pas du tout réalisé jusqu’alors. Un moment de flottement en a résulté. Franchement, je ne me voyais pas comment migrer tout seul et les autres athlètes venus sans équipe logistique ont également exprimé leurs craintes. J’ai tenté de trouver des solutions acceptables.
La bonne nouvelle, c’est que j’avais apporté pas mal de matériel en double, par exemple un bon couchage. Je pouvais en installer une partie sur le site de la natation, seulement, moi qui avais prévu de m’entraîner, nager et courir durant ces deux jours, je n’ai pas pu, j’ai dû improviser un deuxième campement sans parvenir à résoudre tous les problèmes de logistique. Mon objectif a cessé d’être « comment gagner cette compétition » pour devenir « comment y participer efficacement » !
A J moins un du départ, la cérémonie d’ouverture m’a fait oublier ces inquiétudes et permis de décompresser. Le départ était prévu à 18 heures le lendemain. J’ai démonté du matériel aussitôt stocké dans le camion pour l’apporter sur le site de la natation où un barnum nous était prêté, officiellement à partir de 15 heures. J’étais obligé d’assumer ce travail herculéen juste avant l’épreuve alors qu’habituellement, une seule logistique suffit pour les trois épreuves. Cela m’a sérieusement énervé. Malheureusement, je n’avais pas le choix. Il me fallait oublier mon confort sous ce barnum de 2 mètres sur 2 mis à disposition par l’organisation. Tout n’y rentrait pas. J’ai trié et transféré le strict nécessaire, ce qui, déjà , m’imposait une trentaine d’allers retours entre le parking et le barnum. J’ai passé quatre heures à manutentionner tout ce matériel, terminant à 17h45. Debout depuis 9 heures du matin, j’étais épuisé avant même de commercer, j’avais envie de dormir et je devais commencer à nager un quart d’heure plus tard, à partir de 18 heures, sur une distance de 114 kilomètres ! J’ai demandé si on ne pouvait pas reporter le départ au lendemain matin, mais non.
J’ai un peu hésité à jeter l’éponge. A 18h10, j’ai entendu que cela bougeait autour de moi. Le départ avait été reporté à 18h30. Les cameramen m’ont sollicité pour cinq minutes d’interview. A 18h20, j’ai rejoint les autres sur la ligne de départ. J’ai réalisé encore quelques vidéos, ajusté ma tenue et enfilé les deux bracelets électroniques censés mesurer notre distance parcourue et comptabiliser nos allers retours.
J’ai démarré avec quelques secondes de retard dans une ligne d’eau partagée avec trois athlètes que je connais et aime bien : Lia l’Américaine, Shanda la Canadienne et Tomasz, le Polonais. Ils ont le même niveau que moi alors je me suis simplement attaché à les suivre sur le long terme. J’ai gardé le rythme, éprouvant même de bonnes sensations. L’air et l’eau étaient à bonne température. Les bips de nos bracelets étaient transmis à chaque longueur, nous les entendions, mais je me suis étonné qu’aucune information ne soit affichée sur l’écran. Je regardais les distances parcourues sur ma montre. A la pause, consultant les messages, j’ai appris qu’on ne pouvait pas me suivre sur le live. L’organisateur nous a cependant confirmé que les données étaient bien enregistrées, précisant que des techniciens intervenaient pour résoudre le problème d’affichage sur le grand écran.
Je m’étais fixé pour objectif de nager trente kilomètres par jour et idéalement un peu plus le premier jour. Au bout de quelques heures, j’ai enlevé ma montre, dont le frottement m’irritait. Le deuxième jour, il n’y avait toujours aucune donnée affichée sur écran. Je ne savais plus du tout où j’en étais par rapport aux autres, ni par rapport à mes objectifs. Cette contrariété m’a pesé. J’ai continué mes allers retours en me ravitaillant correctement, dormant trois heures par nuit plus une ou deux siestes d’une demi-heure en journée. Ayant apporté quatre combinaisons, je me changeais deux fois par jour. Des kinés étaient présents pour nous détendre et le troisième jour, je leur ai demandé de me masser les épaules. Le problème de chronométrage n’était toujours pas résolu, c’était désormais le chaos et on nous a annoncé que les données étaient irrécupérables. Beaucoup d’athlètes étaient mécontents, se demandant même s’ils allaient continuer ou pas. Sur les 14 concurrents au départ, un Brésilien avait abandonné le deuxième jour. Ainsi, nous n’étions plus que 13 et un autre, le Polonais favori, a abandonné tandis que 4 ont décidé de changer de format, divisant par deux les distances. Nous n’étions plus que 8 en lice pour ce fois 30 et j’étais désormais le favori. Nous sommes retournés dans l’eau pour finir nos allers retours. Je m’étais initialement fixé l’objectif de nager la distance en 90 heures. Pour éviter toute contestation, à ce moment-là j’ai décidé de ne sortir de l’eau qu’au bout de 95 heures, en dernier, entendant que l’équipe lituanienne mettait en doute mon honnêteté. Et c’est ce que j’ai fait, quittant l’eau une heure après le plus mauvais nageur, un Taïwanais de 63 ans. Au final, j’avais nagé 98 heures ! Il était 19 heures, j’étais tout seul dans cette grande piscine, c’était bizarre. J’ai pris une douche chaude et me suis accordé une demi-heure de sieste.
Les cinq premiers avaient environ quatre à cinq heures d’avance ; rien de bien terrifiant ni d’irrémédiable, d’autant qu’ils se sont offert une bonne nuit de sommeil, contrairement à moi, mais pour l’heure, je l’ignorais. Ils allaient m’offrir une belle occasion de rattraper tout ou partie de mon retard.
Je me suis rendu sur le site de vélo, à 12 kilomètres. L’équipe de vidéastes italiens m’a aidé à déplacer ma logistique sur le parcours. A la lampe frontale, dans la nuit, j’ai tout rangé, ce qui m’a pris une heure et demie. Puis j’ai enfourché mon vélo et c’est parti ! Le compteur fonctionnait, cette fois, et le live des réseaux sociaux aussi. J’ai vu sur l’écran que je passais de la 8ème à la 3ème place, comprenant alors que les autres dormaient.
Mes adversaires les plus sérieux, le Lituanien et le Tchèque, n’étaient qu’à 4 ou 500 kilomètres devant moi. J’étais serein. J’ai roulé le plus longtemps possible. Les kilomètres s’enchainaient. J’ai dormi trois bonnes heures la nuit, toujours avec deux siestes d’une demi-heure en journée.
Sur les 5400 kilomètres de course, il y a 3600 mètres de dénivelé à raison d’un col de 150 mètres tous les 7 kilomètres. C’était raide. J’ai fini les premières 24 heures avec un grand nombre de courbatures, très douloureuses. Et elles ne se sont aucunement estompées le deuxième jour, bien au contraire. Lors d’une sieste, j’ai posé sur mes cuisses deux poches de glace stockées dans mon congélateur et je me suis endormi comme une masse. À mon réveil, surprise : ma peau était toute dure, congelée ! Je m’en suis inquiété. J’ai repris le vélo et tout est rentré dans l’ordre, rapidement. Il ne restait que des traces rouges et la douleur s’était bien atténuée.
Jour après jour, j’ai rattrapé 10 ou 20 kilomètres sur les premiers, qui roulaient cependant plus vite que je ne le pensais. Et le sixième jour, j’ai raté mon réveil, dormant cinq heures de plus que prévu ! Il faisait jour. Tout ce que j’avais repris sur les premiers en cinq jours, je l’avais reperdu dans la nuit. J’étais très déçu… mais en pleine forme, bien reposé, et j’ai recommencé à les rattraper. Les jours suivant, je réglais six réveils pour être sûr que cela ne se reproduise pas. Épuisé, je devais faire de gros efforts pour me lever, quitter ma couette bien chaude pour sortir dans le froid, sous la pluie. Même la tente commençait à prendre l’eau. Le sol était boueux, ma logistique explosait, je dormais dans une véritable bauge qu’un porc n’aurait pas reniée. Les autres athlètes étaient logés à même enseigne, notre moral à tous en a pâti.
J’ai peu à peu rattrapé les premiers, jusqu’à prendre la première place vers les 4000 kilomètres. Cette remontée m’avait pris deux fois plus de temps qu’en Suisse où, il est vrai, la logistique était parfaite, où j’avais l’eau, le chauffage… Là , tous les jours, je devais gérer 45 minutes de tâches diverses, répondre aux e-mail ou autre. Il y avait régulièrement des coupures d’électricité, le générateur tombait en panne d’essence. Les organisateurs l’ont remplacé par un autre, moins puissant, qui disjonctait fréquemment. Il ne faisait que 10° dans la tente, une horreur. Vraiment, l’organisation de cette épreuve était catastrophique. Je perdais un temps fou à régler des problèmes d’électricité ou de logistique venant polluer ma concentration et grignoter mon temps de repos, pourtant nécessaire. Les douches étaient à 500 mètres, le ravitaillement à 200 mètres… tout était loin, les problèmes s’additionnaient. Néanmoins, laborieusement, j’ai donc pris la première place et, déterminé à la garder, j’ai poursuivi mes efforts, jusqu’à franchir la ligne d’arrivée en tête. Je me suis prêté au jeu de l’interview devant les caméras, un drapeau français en arrière-plan, avant de regagner le site principal à vélo, soit une ultime étape de 15 kilomètres. Le deuxième était un Autrichien, le même qu’en Suisse. J’espérais que le résultat final serait le même !
Le plus dur était passé, je retrouvais mon confort, c’en était fini de la boue et du froid. Avec deux bémols : non seulement j’avais perdu un quart d’heure sur mon avance avec cette interview, mais j’ai encore perdu une demi-heure en me perdant à vélo au moment de regagner mon barnum. Désormais, l’Autrichien me talonnait.
Je me suis changé tandis que les cameramen apportaient mon matériel. J’ai rangé le plus important et c’est parti pour les trente marathons ! J’ai commencé comme en Suisse, avec une bonne petite foulée, mais en éprouvant une vilaine sensation : mes jambes voulaient pédaler au lieu de courir ! Et cela me déséquilibrait dès que je ralentissais, m’imposant de rester bien concentré.
J’ai guetté le classement : l’Autrichien avait trois heures de retard sur moi et le Lituanien quatre, seulement ce dernier a un très bon niveau en course à pied, je devais rester sur mes gardes.
La fin du premier marathon s’est avérée pénible, j’avais mal aux jambes au point qu’il m’était difficile de marcher. Mes « quadris » étaient courbaturés, je sentais plein de microdéchirures et cela m’a inquiété. Je n’avais pas souffert ainsi en Suisse, qu’est-ce qui m’arrivait ? Je me suis fait masser 45 minutes et ça m’a bien soulagé. J’ai ensuite utilisé mes jambes de pressothérapie et avalé quelques compléments alimentaires, puis dormi quatre heures, grâce à quoi mon corps a très convenablement récupéré.
En me levant vers 4 heures du matin, je me sentais nettement mieux. J’ai commencé le deuxième marathon dans la nuit noire, avec l’objectif de courir 85 à 100 kilomètres par jour. Ce deuxième jour, je n’ai finalement parcouru que 70 kilomètres, toutefois, j’étais rassuré de ne pas trop souffrir, un point positif qui a bien édulcoré ma petite déception.
Le troisième jour, je ne ressentais plus ces problèmes de motricité et j’ai réussi à parcourir 90 kilomètres. J’étais encore à 10% sous mon objectif, ce qui est loin d’être anodin. Il est vrai que le terrain n’était pas terrible avec des virages, des demi-tours, à 60% sur un revêtement de terre et d’herbe qui s’était mué en boue, sans oublier les dénivelés éprouvants. J’ai continué ainsi, un peu moins vite que prévu : 86 kilomètres le quatrième jour, 84 kilomètres le cinquième jour. Je régressais un peu mais devançais toujours le Lituanien et l’Autrichien, qui rencontraient les mêmes difficultés que moi. C’était même pire : le Lituanien ne pouvait plus courir, il marchait. Par contre, le danger venait désormais d’ailleurs : le Tchèque, qui ne me semblait pas dangereux initialement, revenait en force et tenait bien mon rythme. Chaque jour, il gagnait deux ou trois kilomètres sur moi. Je n’avais pas perçu sa dangerosité au vu de ses précédents résultats. Un combat s’est alors organisé entre nous pour la dernière partie de cette épreuve.
J’avoue que je ne le pensais pas si coriace. Sur le fois 20 en Suisse, j’avais terminé la course avec près de cent heures d’avances sur lui. Seulement… j’avais occulté le fait qu’il était blessé et marchait plus qu’il ne courait. Là , il était rétabli et je voyais son vrai visage.
Notre duel a duré jusqu’au vingtième marathon. Je le devançais d’un marathon mais il se maintenait à cette distance, impossible d’augmenter mon avance et ce combat a été très dur. Moi qui pensais être à l’aise, au-dessus du lot en course à pied, je ne parvenais pas à me défaire de lui. J’ai augmenté ma cadence, passant de 75 à environ 90 kilomètres par jour, en limitant mes pauses. En deux jours, je lui ai repris un demi marathon supplémentaire. De quoi altérer son moral et l’inciter à ralentir. J’essayais de me mettre à sa place, mentalement. Ce devait être dur pour lui.
Au 22ème ou 23ème tour, beau joueur, il est venu me féliciter pour ma victoire, désormais inéluctable, acceptant de ne terminer qu’en deuxième position. J’ai gardé un rythme de 80 kilomètres quotidiens et franchi la ligne d’arrivée en tête avec deux marathons d’avance sur lui. Ainsi ai-je remporté ce triple déca Ironman, après le double deca de Suisse où j’avais fini avec deux heures d’avance sur le Polonais. Dans les deux cas, j’ai eu un adversaire coriace quasiment jusqu’à la fin.
Non seulement j’ai gagné les deux plus grosses épreuves de la saison, mais j’ai établi un record du monde sur le fois 30, qui restera officieux, hélas, du fait du dysfonctionnement des chronos dans la piscine, empêchant que nos prestations soient pleinement homologuées. Pour cette même raison, cette compétition italienne ne m’a octroyé que 250 points au lieu des 500 prévus et j’ai fini la saison 2024 à la première place de justesse puisque Jozsef, un Hongrois vainqueur d’un fois 10 en Italie, a obtenu quasiment autant de points que moi, à cause de ce satané problème de chrono. Cela s’est donc joué à peu mais j’ai officiellement remporté un quatrième titre mondial en ultra triathlon. Objectif atteint, avec ce superbe bouquet final du fois 30.
Ainsi suis-je finisher de 49 Ironman cette année, soit 191 au total dont 181 spécifiques au championnat ultra-triathlon. Cela a amélioré mon classement au Hall of fame 100, le temple mondial de la renommée sportive, où je suis passé de la 6ème à la 3ème place. Cela signifie que je suis le troisième à avoir terminé le plus grand nombre de distances. Les deux premiers ont arrêté la discipline mais comptent une centaine d’Ironman de plus que moi au compteur. Je me donne donc pour objectif de passer à la première place d’ici deux ou trois ans.
La Coupe du monde d’ultra triathlon 2025 va me permettre de découvrir deux nouveaux continents, l’Afrique et l’Asie, puisque la première course, un deca, se déroule en Afrique du Sud et la dernière, un autre deca, à Taïwan.
Autre sujet de satisfaction : en 2025, il y aura un voire deux quadruples deca en continu, en Pologne et/ou en Italie. Encore un nouveau défi à relever, toujours plus audacieux ! Inutile de préciser que ce programme m’excite. Il va me falloir jongler entre cette intense activité sportive, le travail et la famille, mais avec le soutien de ma tendre épouse, j’y parviendrai. Alors, rendez-vous en 2025 pour de nouvelles aventures !