Dans cet article, je tâinvite Ă venir revivre mon dĂ©fi du Summum project. Un Ironman dans la vallĂ©e de Chamonix avec la particularitĂ© de la course Ă pied qui se termine au sommet du Mt Blanc Ă 4810 mĂštres. Au programme : 3.8 km de nage / 180 km de vĂ©lo et 42.2 km de course Ă pied.
Le Summum project
Le Summum project nâa rien Ă voir avec la coupe du monde d’ultra-triathlon, câest un dĂ©fi personnel, une compĂ©tition seul avec un chrono. Il est nĂ© dans lâesprit de Cyril Blanchard, un athlĂšte qui a battu le record de lâEnduroman au dĂ©part de Londres : 170 kilomĂštres de course Ă pied jusquâĂ la cĂŽte, 40 kilomĂštres de natation pour traverser la Manche puis 300 kilomĂštres Ă vĂ©lo jusquâĂ Paris.
Cyril a voulu crĂ©er une compĂ©tition dans le mĂȘme esprit, avec une difficultĂ© sur la course Ă pied au lieu de la nage, Ă travers une arrivĂ©e en haut du Mont-Blanc Ă 4810 mĂštres. Un dĂ©fi quâil a rĂ©alisĂ© en en 23 heures 18 en 2021 au dĂ©part de Condes, Ă 180 kilomĂštres de Chamonix, depuis le lac de Coiselet. Il a ouvert cela au public et en 2023 ; un Belge a alors validĂ© la natation et le vĂ©lo, mais abandonnĂ© durant lâascension du Mont-Blanc.
Lorsque Cyril mâen a parlĂ©, jâai tout de suite trouvĂ© ce challenge excitant et lâai casĂ© dans mon planning sportif de 2024 entre deux courses de coupe du monde. Mon objectif consistait Ă battre le record Ă©tabli par Cyril en descendant sous les 23 heures. Je disposais dâune « fenĂȘtre de tir » le 15 juillet et ai organisĂ© cela avec un guide de haute montagne solidement expĂ©rimentĂ©, Tony, et un cameraman professionnel, Bertrand, habituĂ© Ă filmer Ă trĂšs haute altitude.
CâĂ©tait deux semaines aprĂšs Colmar, lors de mon quintuple Ironman, jâavais bien rĂ©cupĂ©rĂ©. Jây suis allĂ© sans stress. Ce dĂ©fi reprĂ©sentait 3,8 kilomĂštres de nage dans un lac, 180 kilomĂštres de vĂ©lo sur un dĂ©nivelĂ© de 3000 mĂštres puis lâascension du Mont-Blanc que jâavais rĂ©alisĂ©e Ă deux reprises. A priori, rien dâinsurmontable.
Je me suis rendu en voiture Ă Chamonix oĂč jâai rĂ©cupĂ©rĂ© les affaires que jâavais rĂ©servĂ©es pour lâascension. Le vendeur connaissait mon parcours sportif et mâa encouragĂ©Â :
- Tu as choisi un trĂšs bon guide, Tony est un pro.
Jâai ensuite fait les courses avant de me rendre Ă lâhĂŽtel. Le lendemain, jâavais rendez-vous dĂšs 6 heures au tĂ©lĂ©phĂ©rique avec Tony pour faire connaissance et quâil Ă©value mon niveau. Jây Ă©tais, par contre, il y a de grosses intempĂ©ries dans la nuit et le premier tĂ©lĂ©phĂ©rique a Ă©tĂ© dĂ©calĂ© Ă 8 heures. Nous sommes montĂ©s Ă 3800 mĂštres, vers lâAiguille du Midi, et avons commencĂ© la randonnĂ©e. Je pensais que ce serait paisible mais cela a vite virĂ© Ă lâescalade, nous grimpions et descendions de gros rochers, câĂ©tait « pĂȘchu ». Nous sommes arrivĂ©s Ă un mur naturel dâenviron cinq mĂštres de haut, sans prise visible, mâarrachant cette question :
- Et lĂ on va oĂč, Tony ?
- En haut.
- Comment on monte ?
- Je passe devant, tu me regardes faire.
Il est montĂ© comme un chat en utilisant une petite fente oĂč glisser les doigts et de minuscules trous pour les crampons. Je me sentais incapable de lâimiter. Jâai finalement rĂ©ussi, en galĂ©rant et en le maudissant dans mon for intĂ©rieur. Puis nous avons continuĂ© la randonnĂ©e. Au bout de trois heures, le parcours Ă©tant terminĂ©, nous avons repris le tĂ©lĂ©phĂ©rique pour Chamonix oĂč nous avons bu une biĂšre bien mĂ©ritĂ©e. Il sâest dit fier de moi et rassurĂ© sur mes capacitĂ©s.
Un ami pompier, Guy, nous a rejoints pour assurer ma logistique et Ă©pauler Bertrand, avec ses drones et son matĂ©riel photo et vidĂ©o. Il est venu avec nous Ă Condes au camping oĂč Bertrand nous attendait. Le soir, nous avons mangĂ© une bonne pizza et Ă 21h30, nous Ă©tions couchĂ©s.
Jâai bien dormi. RĂ©veil Ă 6h30. Nous avons pris le petit dĂ©jeuner, rangĂ© les tentes et ralliĂ© le lac pour lâĂ©preuve de natation. Cyril Blanchard nous a rejoints en observateur pour valider ma prestation. Jâavais louĂ© une borne GPS et partagĂ© le lien avec ceux qui me suivaient. A 8h15, jâai pris le dĂ©part dans le lac pour 3,8 kilomĂštres en sachant pertinemment que ce serait plutĂŽt 4 voire plus car en eau naturelle, je ne nage pas droit. Tout sâest bien passĂ© et jâen suis sorti aprĂšs 1h48 de nage. Je me suis sĂ©chĂ©, changĂ© et ravitaillĂ© en mâaccordant 25 minutes de pause. Et câest reparti pour 180 kilomĂštres de vĂ©lo, une assez faible distance par rapport Ă mon expĂ©rience, mais avec un trĂšs fort dĂ©nivelĂ© et ça change tout ! Le parcours Ă©tait prĂ©enregistrĂ© sur le GPS et jâĂ©tais concentrĂ© sur la lecture de lâappareil, sur la route, sur la circulation, sur lâeffort Ă fournir⊠je nâĂ©tais pas Ă lâaise du tout. Dâhabitude, je circulais sur des boucles, façon automate ; lĂ , jâĂ©tais plutĂŽt en mode « orientation ». Heureusement, le GPS mâa bien guidĂ©. Je montais les cols sans trop forcer, tout excitĂ© dâĂȘtre suivi sur Internet par des centaines ou peut-ĂȘtre des milliers de personnes.
Vers le 50Ăšme kilomĂštre, le GPS mâa fait prendre de mauvaises directions. Il y avait des travaux, des dĂ©viations⊠cela mâa quelque peu agacĂ©. Jâai commencĂ© une ou deux ascensions pour rien, fait demi-tour, perdu beaucoup de temps, de lâordre de 1h45, sur ces 180 kilomĂštres que jâai finalement bouclĂ©s en 9h19 au lieu des 7h15 envisagĂ©es. Je suis arrivĂ© sur le parking de tramway de Saint-Gervais avec deux heures de retard. Deux heures prĂ©cieuses : je risquais de louper le dernier tramway, le lendemain lors de la descente du Mt Blanc, mâobligeant Ă descendre Ă pied depuis le nid d’aigle.
Avant de dĂ©marrer la course Ă pied, jâai passĂ© 22 minutes Ă me changer et ravitailler. Les enfants dâun ami Ă©taient lĂ pour mâencourager et mâont offert des dessins, cela mâa touchĂ© et donnĂ© du peps. Je suis parti vers le Nid dâaigle oĂč jâavais rendez-vous avec Tony et Cyril, Ă 12 kilomĂštres. Le parcours commençait par un plat de 3 kilomĂštres, aprĂšs quoi ça montait beaucoup, jâai dĂ» marcher, suivant toujours le trajet via le GPS. Je nâai pas cru utile de mâencombrer dâune lampe frontale, estimant arriver de jour au Nid dâaigle. Jâai Ă©changĂ© avec lâĂ©quipe sur WhattsApp pour les informer de mon dĂ©part. Jâavais les jambes pour courir, je me sentais bien. Quatre kilomĂštres avant lâarrivĂ©e, je marchais toujours dâun bon pas mais ça montait vraiment dur et la nuit commençait Ă tomber. Heureusement que jâavais 70% de batterie sur mon tĂ©lĂ©phone de derniĂšre gĂ©nĂ©ration, rĂ©cent cadeau de Madame. Assez pour mâĂ©clairer le moment venu.
Des panneaux annonçaient le Nid dâaigle Ă quatre heures de randonnĂ©e, ce qui mâa perturbĂ©. Jâai voulu croire que câĂ©tait Ă un rythme familial et que je serais bien plus rapide. Jâai avancĂ©, marché⊠La nuit tombait, jâai allumĂ© la lampe du tĂ©lĂ©phone. Le GPS mâa fait tourner en rond un quart dâheure, jâĂ©tais revenu Ă un panneau croisĂ© plus tĂŽt. Je suis reparti, revenu en arriĂšre⊠et me revoilĂ devant ce satanĂ© panneau ! Jâai insistĂ©, je me suis concentrĂ©. Nouveau retour en arriĂšre. Et lĂ , jâai vu sur le GPS le petit drapeau Ă damiers qui annonce le point dâarrivĂ©e, il considĂ©rait que jâĂ©tais Ă destination. Cela sentait le roussi. Je me suis posĂ©, jâai Ă©teint lâappareil et lâai rĂ©initialisĂ©. Il mâa indiquĂ© le bon chemin, cette fois, Ă gauche Ă une fourche et non plus Ă droite. Jâavais encore perdu prĂšs dâune heure Ă cause de ce fichu GPS et lâĂ©quipe mâa appelĂ©, ils commençaient Ă sâinquiĂ©ter. Il faisait nuit. Je me suis inquiĂ©tĂ© : Tony accepterait-il de dĂ©marrer lâascension si tardivement ?
Jâai encore marchĂ© 2h30 avant dâarriver, Tony est descendu Ă ma rencontre et nous sommes arrivĂ©s au Nid dâaigle Ă minuit. Il mâa rassurĂ©Â :
- Les cuistots tâattendent, ils tâont prĂ©parĂ© de bonnes pĂątes carbonara.
Jâai mangĂ© dâun bon appĂ©tit, je me suis changĂ© et me suis Ă©lancĂ© vers le refuge de TĂȘte rousse avec Tony, Bertrand et Cyril. Guy Ă©tait reparti chez lui aprĂšs mâavoir accompagnĂ© jusquâĂ la fin du circuit Ă vĂ©lo. Nous avons marchĂ© tous les quatre Ă un rythme trĂšs soutenu. Parvenus au refuge, nous nous sommes posĂ©s une petite demi-heure pour boire et enfiler crampons et baudriers, puis en route pour le refuge du GoĂ»ter Ă 3800 mĂštres dâaltitude. Cela reprĂ©sentait une marche dâ1h45 assez technique et mĂȘme un peu dangereuse au dĂ©but, avec la traversĂ©e du fameux couloir de la mort oĂč je mâĂ©tais offert une belle frayeur la derniĂšre fois. De nuit, il est moins impressionnant et la neige est plus froide, donc plus stable. Et puis jâĂ©tais encordĂ© Ă Tony.
AprĂšs deux heures dâascension, nous sommes arrivĂ©s au refuge du GoĂ»ter oĂč nous nous sommes accordĂ©s une pause de 20 minutes. Jâai mĂȘme pu siester 10 minutes, puis câest reparti pour 4 heures de randonnĂ©e en forte pente. Le jour sâĂ©tait levĂ©. Je ne voulais pas les inquiĂ©ter en montrant le moindre signe de fatigue mais ça commençait Ă bien tirer sur mes muscles, les quadriceps me lĂąchaient Ă cause du vĂ©lo. Il nâĂ©tait toutefois pas envisageable dâabandonner, je n’avais pas consenti tous ces efforts pour renoncer. Jâai serrĂ© les dents.
Je demandais de plus en plus souvent des pauses de quelques minutes Ă Tony, qui faisait son possible pour mâencourager mais jâai bien vu quâil commençait Ă douter de ma capacitĂ© Ă arriver au sommet dans un dĂ©lai raisonnable. Heureusement que la mĂ©tĂ©o Ă©tait favorable, avec un beau soleil. NĂ©anmoins, il nous faudrait ensuite 6 heures dâefforts pour descendre et le dernier tramway Ă©tait Ă 16 heures. Le temps jouait contre moi.
Je nâen pouvais plus, je commençais mĂȘme Ă avoir du mal Ă respirer. Jâai persistĂ©. Enfin, apercevant le dernier sommet, jâai cessĂ© de douter : jâallais y arriver ! Jâavais peur que Tony mâimpose dâarrĂȘter mais non, il a Ă©tĂ© exceptionnel. Au sommet, terrassĂ© par ces efforts dantesques et le soulagement dây ĂȘtre parvenu, jâai fondu en larmes, vivant cela comme une vĂ©ritable dĂ©livrance : jâavais rĂ©ussi, jâĂ©tais finisher ! Jâavais rĂ©solument oubliĂ© mon objectif de finir en moins de 23 heures depuis mes dĂ©boires avec le GPS. Jâai bouclĂ© lâĂ©preuve en 25h19. Si lâappareil n’avait pas dysfonctionnĂ©, jâaurais fais aussi bien que Cyril et peut-ĂȘtre mieux. Tant pis, on ne maitrise pas tout, câest ainsi.
On me demande parfois comment travailler le mental. Câest comme ça quâon le fait, en se dĂ©passant, en nâabandonnant pas alors que lâon nâen peut plus, en allant quĂ©rir les ultimes rĂ©serves dâĂ©nergie au fond de nous. Le corps est fabuleux. Toutes mes courses et mĂȘme mes entraĂźnements mâaident Ă travailler le mental.
Au sommet, nous avons rĂ©alisĂ© des prises de vues photo et vidĂ©o, puis lâheure de redescendre vers la vallĂ©e est venue. Nous sommes arrivĂ©s au Nid dâaigle Ă 14h30. Nous avons rĂ©cupĂ©rĂ© nos affaires, siestĂ© un quart dâheure, mangĂ© un morceau et empruntĂ© le tramway. En bas, jâai repris le volant pour regagner la maison, trĂšs fier dâavoir accompli ce superbe dĂ©fi personnel. Je venais encore de vivre une trĂšs belle aventure sportive.